Edge Geraldine - I believe you are ninja too

 Pour rien au monde vous ne ferez l’erreur de lui demander de vous parler de sa vie. C’est couru d’avance, il inventerait la moitié des choses pour le plaisir de raconter une belle histoire. Ce que vous en connaissez, c’est la version que vous a livrée Rydia, l’une des plus récentes et plus actives parmi les étudiants en planétologie de Cosmo Canyon. Elle préférait vous rassurer, car il est vrai que, si l’on excepte le cas de Nanaki, les membres du groupe ne font que très peu confiance aux personnes qui manient les armes. Et puis après tout, c’est elle qui est allée au village de Wutaï pour chercher cet individu il y a quelque mois.

Aventureuse et plus hardie que les autres, Rydia avait eu besoin d’un combattant pour l’aider à voyager plus sûrement dans son projet d’une nouvelle cartographie mondiale de la Rivière de la Vie. L’ancienne tribu de Seto est pratiquement éteinte, et son fils Nanaki a beaucoup à faire, il est difficile de faire peser davantage de responsabilités sur ses jeunes épaules. Pourtant, une protection n’est désormais plus du luxe en des temps où les monstres reviennent infester des régions entières.

Mais en plus de cela, Rydia était très curieuse des fameux talents mystiques des Wutai. Ces capacités restaient inexpliquées par les combattants eux-mêmes, considérées comme des faveurs accordées par les dieux. Du côté de la Shinra, après avoir prouvé que les Wutai n’étaient pas génétiquement liés aux anciens, les chercheurs ne s’étaient jamais sérieusement penchés sur la question, pour des raisons que l’on peut facilement deviner. Rydia quant à elle espérait identifier quel était le rapport entre leurs techniques et l’énergie de la Planète.

Alors, avançant l’argument qu’il devenait vital pour l’Humanité entière d’en apprendre le plus possible et dans les plus courts délais sur tous les sujets en friche autour du Lifestream, l’étudiante avait obtenu une audience auprès de Chekhov, membre du Wusheng, troisième gardien de la pagode du village de Wutaï et maître de la magie. Celui-ci ne pouvait l’aider directement, lié par ses serments passés devant les dieux, mais il lui avait recommandé son disciple et l’avait convaincue en lui racontant ce qu’il savait de son histoire.

Edge est le cadet d’une famille de guerriers de Wutaï. On peut dire qu’il a eu une enfance semblable à celle de ses compatriotes, mais il était assez turbulent : c’était le petit dernier d’une fratrie de jeunes combattants très prometteurs qui allaient déjà en mission et se faisaient remarquer sur le terrain pour leur efficacité. Pendant ce temps, lui devait rester à l’abri avec les civils. L’impatience et la crainte doivent expliquer sa nervosité de l’époque. Il se faisait souvent disputer par sa grand mère qui le poursuivait à travers le village avec une louche en bois.

Un jour il était revenu d’une escapade, les mains couvertes de brûlures. Même s’il l’a toujours nié, il y a fort à parier qu’il a cherché à faire le malin devant les autres enfants en utilisant des matérias. Il n’est pas difficile d’imaginer comment l’expérience a tourné. Cela expliquerait que toute son adolescence, il a dénigré l’usage des orbes de magie et préférait se fier entièrement aux techniques mystiques des shinobis.

Jusqu’à assez tard dans le conflit, Edge et sa famille furent relativement épargnés et ce malgré un engagement acharné contre la Shinra. Cependant, la guerre est cruelle, et même les plus habiles guerriers peuvent connaître un brutal revirement de fortune. Ses trois aînés furent fauchés pendant la même bataille par un membre du SOLDAT. Son père revint du combat, gravement blessé mais en vie, grâce à l’expérience de l’âge. Il avait cependant cette épreuve ô combien amère à surmonter : annoncer la nouvelle funeste à son épouse.

Témoin de la puissance des moyens déployés par la Shinra, il est probable que le père d’Edge ait pris conscience à quel point le combat était devenu vain. On peut imaginer qu’il avait alors pris soin que les survivants de sa famille soient envoyés dans les missions les moins risquées, et restent le plus possible dans les lignes arrières.

Comment avait-on réussi à canaliser la colère du cadet, à le dissuader d’aller assouvir la soif de la vengeance ? Il faut sans doute toute la ruse et la persuasion de parents désespérés.

Lorsque la paix fut négociée entre la Shinra et le Seigneur Godo, la famille s’adapta à la situation. Ils s’efforcèrent de vivre du commerce d’éléments. Nul doute qu’ils rongeaient leur frein en attendant le jour de la revanche. Leur fils les aidait à tenir la boutique tout en commençant sa formation auprès de Chekhov.

Régulièrement, les parents d’Edge participaient à un spectacle pour les touristes. Ils se métamorphosaient alors en monstres grotesques et la petite famille jouait le drame du prince Edge, équipé de son Shamisen magique, obligé d’achever ses royaux parents victimes d’un sorcier maléfique pour libérer le pays de l’emprise de fausses divinités.

La représentation se répétait d’année en année. Ce petit spectacle avait son succès. Il fut trop souvent joué sans doute au goût du “petit prince”. Faire le cabotin, être applaudi ne lui déplaisait pas le moins du monde, mais c’était bien en-deçà des espérances et des ambitions. Il avait un jour lâché qu’il commençait à savoir par coeur cette petite musique, et aurait aimé voir le bout de cette plaisanterie.

On l’envoya à Midgar pour tenter de renouer avec le groupe Avalanche, mais Wutaï avait une capacité d’action minime. De plus, le groupe anti-Shinra avait déjà une cohésion trop fragile pour qu’on se fie à eux. Cette expédition se borna à l’envoi de quelques sommes d’argent.

Le temps passait, et Wutaï s’enlisait dans la soumission et la torpeur. La résignation naissait dans le secret des coeurs, mais parfois c’était le dégoût qui prenait le pas. Même s’il était un disciple doué et avantagé par des talents naturels, Edge montrait de moins en moins de discipline. Les choses s’aggravèrent lors du retour de Yuffie à Wutaï. L’insupportable fille du Seigneur Godo, forte de son expérience de combat à travers le monde, avait vaincu les gardiens de la pagode du village, un par un.

Pour Edge, que son maître Chekov ait plié le genou devant une gamine devait avoir été le bouquet final de la désillusion. Il lui en avait d’ailleurs fait le reproche à mots couverts. Yuffie avait prouvé avec ses amis l’homme à tout faire, la fleuriste, la barmaid, l’ancien mineur, le tigre parlant, l’original déguisé en vampire, le pilote d’avion et la peluche géante échappée du Gold Saucer que n’importe qui, avec un peu de matéria et beaucoup d’entraînement, pouvait parvenir à la maîtrise d’une puissance supérieure à celle de la fine fleur des guerriers de Wutaï.

Le grand cataclysme du météore finit de faire vaciller la foi qu’Edge avait encore en les dieux de du pays. Il est vrai que la reconstruction du village, la terrible épidémie de géostigma, tout cela avait été perturbant et n’aidait pas à garder confiance en l’avenir. Edge ne stagnait plus : il régressait. Il s’était mis à utiliser les matérias et délaissait des techniques autrefois durement acquises. Devant son maître, il parlait désormais ouvertement de l’art du Ninja comme d’un folklore dépassé qui n’avait plus de raison d’être dans la nouvelle ère technologique.

C’était une réaction tout à fait humaine : pendant qu’Edge s’acharnait à maîtriser le feu, le vent, l’eau et la foudre à mains nues, à développer des pouvoirs aléatoires dépendant de cet état critique de pugnacité propice au dépassement des limites, un aventurier lambda avait le temps de cristalliser et multiplier des dizaines de matérias de toutes sortes, à des niveaux de puissance autrement plus élevés.

Et ce n’était pas près de s’arrêter. L’effondrement de la Shinra n'avait absolument rien changé au cours de l’histoire. Malgré l’arrêt des réacteurs, le progrès continuait de faire rage, les usines avaient repris la production d’armes et de machines qui laissaient la civilisation traditionnelle à la traîne tandis que le monde devenait toujours plus dangereux.

Ce que Chekov pouvait ressentir chez son disciple n’était pas un simple découragement, mais le feu couvert d’une colère délétère qui pouvait compromettre sa capacité à devenir un jour un digne membre du Wusheng. Il l’avait vu de ses propres yeux lors de l’attaque récente de Deepground que son élève avait contribué à stopper, mais d’une manière beaucoup moins brillante qu’il ne l’aurait espéré.

Le maître de la magie avait alors résolu qu’un éloignement ne pouvait être que bénéfique pour Edge et la communauté. Le faire sortir du pays, le pousser à reprendre conscience de l’importance du cycle sacré des âmes ne pouvait que lui permettre d’élargir ses horizons pour se préparer à devenir un meilleur successeur. Ce faisant, il contribuerait aux précieuses recherches des planétologues.

Une fois appelé à répondre à l’ordre que lui donnait son maître, le diable gris avait dévisagé longuement cette apprentie de Canyon Cosmo qui avait eu l’audace de venir demander une coopération de la part du Wutaï. Plissant les yeux, il avait demandé à nouveau si l’on voulait de lui qu’il serve de spécimen de recherche pour cette personne. Et finalement, avec un rire malicieux, il avait déclaré qu’il serait fou de ne pas se montrer coopératif en ayant la chance de devenir l’objet d’intérêt d’aussi jolis yeux.

Rydia admet qu’à ce moment précis, elle avait eu peur d’avoir à beaucoup regretter le marché qu’elle avait conclu avec Chekov. La planétologue avait dû mettre rapidement un holà aux avances pressantes de sa nouvelle escorte. Cependant le temps avait passé, et désormais ils s’entendaient relativement bien. L’étudiante avait remarqué à sa grande satisfaction qu’au fil de leurs voyages, Edge retrouvait la pratique de techniques mystiques qu’il pensait avoir oubliées. Elle les observait, les analysait à sa manière, et tentait de faire le rapprochement avec ce qu’elle savait des pratiques de magie anciennes.

En tout cas, le wutai ne reste pas à Canyon Cosmo pendant les débats. Sous prétexte d’aller livrer à la W.R.O. les résultats des recherches de Rydia, il disparaît souvent quelques jours. Comme vous avez bien repéré sa tendance à courir les jupons, vous imaginez qu’il va prendre du bon temps dans on ne sait quel lieu peu recommandable.

Pourtant, ce n’est pas l’avis de certains aînés qui ont avoué qu’ils avaient un doute sur la neutralité de ce collaborateur. C’est pour cela qu’ils ont décidé de ne pas le laisser approcher des affaires trop sensibles de Canyon Cosmo, comme le sujet des Méga Matérias. L’homme en lui-même ne paraît pas mauvais, mais il est subordonné au Wusheng, et qui sait si le pays de Léviathan a réellement abandonné ses rêves de puissance ...