Two stones in the river of time [Vincent ♥ ]

Vincent semblait croire qu'elle serait capable de « faire quelque chose » du matériel obsolète qu'elle avait à disposition, car il avait toujours cette tendance à croire – un peu trop – en elle. Cela l'avait tout de même fait sourire, un sourire qui manquait toujours de conviction, car la tristesse ne quittait jamais ses yeux. Elle avait baissé la tête pour détourner le regard, comme on pourrait le faire devant l'optimisme d'un enfant dont on ne veut pas briser les rêves. Beaucoup de personne aurait sans doute du mal à le croire ou même à l'imaginer, mais Lucrecia le connaissait comme un jeune homme un peu naïf.

— Je trouverai bien quelque chose … avait-elle dit, tout en pensant très fort qu'au pire, elle pourrait toujours les transformer en placard pour ranger ses papiers. Mais tu sais, je ne suis qu'une humble biologiste, pas une magicienne.

Le fait que les personnes ayant tendance à chercher Jenova soit généralement mal intentionné était justement le cœur du problème. Il fallait la retrouver avant ces gens pour s'assurer de la laisser hors d'atteinte, vivre dans le déni ne rendait en aucun cas vos doux mensonges réels, elle en savait quelque chose. Face au mur, il serait déjà trop tard … mais soit. Tout ça était de sa faute, elle n'avait pas le droit de demander à d'autre de résoudre les problèmes qu'elle avait engendré, elle ne pouvait pas reprocher aux gens d'essayer de profiter de leur vie, une vie qu'elle avait sans doute personnellement rendu plus difficile.

C'est en sortant qu'elle réalisa qu'il faisait toujours nuit, mais cela ne semblait pas déranger Vincent qui était sans doute le même genre d'oiseau de nuit qu'elle … et puis il ne reculerait devant rien pour la satisfaire. Tout était si calme … il n'y avait plus personne dans les rues, à présent et le village était plongé dans le noir, l'empêchant d'apercevoir les dégâts qu'elle avait commis un peu plus tôt. Elle prit le temps de lever les yeux vers le ciel pour admirer les étoiles, superbes et bien visibles. Une infinité de points lumineux qui abritaient potentiellement la vie … elle eut une pensée pour cela, pour ce monde d'où venaient les Cétra, pour ces mondes que Jenova avait déjà annihilé … pour ces mondes en attente d'un souffle de vie vers lesquelles s'envolera peut-être un jour Omega, chargé de toutes les âmes de Gaïa.

Sans un mot, elle porta ensuite son visage sur Vincent qui n'avait pas vieilli depuis toutes ces années … tout comme elle. Est-ce qu'ils seraient toujours là, plusieurs siècles voir millénaires plus tard, pour voir cet exode ? D'un côté, c'est un spectacle qu'elle aimerait voir, le cycle ultime de la vie … mais elle espérait bien ne pas avoir à vivre aussi longtemps. Elle espérait avoir rejoint la Rivière de la Vie d'ici là, ou peut-être qu'elle se réincarnerait, que son âme retrouverait celle de Vincent dans une nouvelle vie … dans un nouveau monde ?

Et bien, la nuit la rendait bien songeuse.

Elle du ensuite se concentrer un peu plus sur son exercice de randonné, surtout qu'elle portait toujours des talons et une jupe, pas le plus propice à ce genre de terrain … mais elle en avait déjà fait l'expérience. Vincent, lui, n'avait aucun mal à progresser, c'était une promenade de santé, pour lui ! Et comme elle avait sa fierté, elle n'allait pas lui demander de ralentir, pas directement, en tout cas.

Le ciel commençait doucement à s'éclaircir de ce bleu sombre remplaçant progressivement le noir de la nuit, indiquant que l'aube pointait progressivement, quand son garde du corps se soucia de la cadence imposée à sa protégée.

— Non, ça va …

Malgré tout, on sentait dans sa voix qu'elle était légèrement essoufflée. Elle tourna la tête vers une lueur turquoise qui avait attiré son attention, trouvant le prétexte parfait pour faire une pause.

— Mais … regarde ! C'est une source naturelle de mako, une percée de la Rivière de la vie. Elle s'approcha sans avoir à feindre sa fascination pour le phénomène. C'est dans ce genre d'endroit que l'on peut parfois trouver des matérias naturelles … tu vois ces cristaux ? Ce sont les mêmes que dans la caverne où nous avons trouvé Chaos et la Protomatéria, mais en plus petit. Ce sont des sortes de matérias primitives, dans quelques siècles, elles seront parfaites. Qui sait quel pouvoir elles renfermeront …

Elle observa la source un moment, ainsi que les cristaux qui éclairaient l'aube tout juste naissant. Elle approcha sa main et survola cette substance considérée comme toxique mais dont elle n'avait plus rien à craindre étant donné son passif. Elle avait l'impression de sentir certaine chose mieux qu'avant, peut-être grâce à Chaos … ou alors c'est juste qu'elle avait oublié la plupart des sensations qui compose la vie. Elle sentait une légère vibration sous ses doigts, comme si l'énergie de la Rivière de la Vie lui chatouillait l'épiderme.

Prise d'une inspiration scientifique, elle chercha dans la poche intérieur de sa blouse une petite fiole qu'elle rempli du sang de la planète et préleva également un morceau de cristal. Peut-être que ça pourrait lui être utile … elle ne voyait pas vraiment quel secret elle pourrait encore percer au sujet de cette substance, mais … qui sait ?  

— Mais tu le savais déjà … Elle reporta son regard sur Vincent, avec ce même sourire, léger et plutôt triste. N'est-ce pas ?

Vincent l'écoutait toujours sagement parler, il ne venait jamais l'interrompre la laissant parfois monologuer pendant des heures sur ses recherches ou les dernières découvertes de ses confrères. Elle avait conscience qu'il connaissait déjà certaines choses dont elle lui parlait et que le reste ne l'intéressait pas forcément … mais il continuait à boire ses paroles malgré tout.

— Qu'est-ce que tu attends ? Le regardant alors intensément dans les yeux, elle finit par se redresser pour reprendre la route. Il y avait une pointe d'espièglerie dans son visage. Nous n'avons pas toute la journée, Bodyguard, la science n'attend pas.

Comme si c'était lui qui traînait la patte !

L'ascension se poursuivit et elle semblait moins difficile que dans ses souvenirs, en tout cas, ils faisaient moins de pause. Le réacteur fut bientôt en vue, il n'y avait plus qu'un dernier pont de singe à traverser. Ils en avaient croisé quelques uns, certains étaient effondrés, mais celui-ci semblait avoir été érigé il n'y a pas si longtemps, les cordes étaient en bon état et le bois ne semblait pas encore rongé par le temps.

— Avec l'installation du réacteur, je m'attendais à ce qu'ils aménagent un peu mieux la région … mais on dirait bien que cet endroit a été oublié.

Par « ils », elle pensait à la Shinra, le réacteur était tout neuf quand l'équipe scientifique s'était installé dans la région, il y avait eu quelques passerelles temporaires de mises en place pour la construction, mais après ça, la Shinra avait tout démonté pour laissé derrière eux un accès bien archaïque à un élément pourtant important de leur industrie. C'était étonnant de leur part, ce n'est pas comme si un quelconque patrimoine naturel ou culturel avec une quelconque importance à leur yeux !

Lucrecia s'avança sur le pont en toute confiance, ne pouvant s'empêche de regarder ses pieds pour être certaine de ne pas se coincer le talon entre deux planches. Un mouvement devant attira son attention, juste à temps pour apercevoir une créature armée d'une sorte de gros boulet qui leur envoya une boule de feu. Elle se baissa par réflexe en se protégeant la tête avec ses bras, se retrouvant bientôt déséquilibrée par le mouvement du pont, elle s'accrocha aux premiers cordages qui lui passèrent sous la main pour s'éviter une chute … bien désagréable, si vraiment elle n'était pas mortelle.

A en juger par l'absence d'odeur de cochon grillé ou de douleur, oui, elle allait bien et les flammes n'avaient pas endommagé sa longue chevelure châtaigne. Tout en restant à couvert, elle avait donc légèrement relevé la tête vers Vincent pour lui faire signe qu'elle allait bien juste un peu secouée par la soudaineté de l'attaque. Les dangers des Monts n'étaient pourtant pas d'hier, cette région avait toujours été dangereuse, mais une scientifique comme elle n'était tout de même pas habituée à ce genre d'assaut et à l'adrénaline du combat. Elle se baissa à nouveau quand Vincent se précipita pour passer au dessus d'elle et mener l'assaut. En le voyant se ruer vers le monstre, elle s'accrocha un peu plus aux cordages, car son bodygard était en train de prendre de la masse, arrachant quelques craquements sinistres au bois du pont qui remuait sous les pas furieux de la bête qu'était devenu Vincent.
Il y eu un moment de stupeur où elle se contenta de l'observer. Ce n'était pas la première fois qu'elle constatait l'étendu des expériences que Hojo avait mené sur le pauvre Vincent, quand elle avait travaillé à essayer de le sauver par le recours de Chaos, elle avait déjà pu observer cette entité bestiale … aujourd'hui elle se demandait si cela le faisait souffrir. Est-ce que ces bêtes étaient tapis en lui comme l'était actuellement Chaos en elle ? Est-ce qu'elles sifflaient, grattaient, hurlaient dans sa tête, constamment, attendant la moindre faille pour surgir ? Est-ce que la transformation était douloureuse ?
Revenant à elle et comme Vincent ne laissait visiblement aucune chance à la créature qui avait osé s'opposer à eux, elle se releva prudemment, se tenant avec beaucoup de précaution aux cordages et progressa avec tout autant de prudence vers l'autre bout du gouffre, prenant garde à éviter les lattes endommagées – notamment après le passage de son démon gardien.

Elle arriva était presque arrivée à destination au moment où il commençait à retrouver son calme ainsi que son apparence humaine, elle croisa son regard, l'un aussi soucieux de la santé de l'autre.

— Vincent, tu vas bien ?

Elle voulu le rejoindre et ne prit pas garde aux dernières lattes, les plus endommagées. Son pied traversa le bois et tout alla si vite qu'elle ne put même pas se rattraper. Elle sentit le frottement des cordes contre ses doigts sans pouvoir les agripper et bascula - bêtement, on peut le dire - dans le vide. Quelques mètres plus bas, cependant, elle eut la chance d'atterrir sur quelque chose de moelleux et de plutôt douillet, soit dit en passant.

Il y eut quelques secondes pendant lesquelles Lucrecia se contenta d'attendre la douleur de l'impact avec appréhension, puis, lorsqu'elle réalisa qu'elle avait déjà atterrit et ce sans fracas effroyable, elle finit par ouvrir prudemment les yeux. Elle mit encore quelques secondes à réaliser ce qui lui était arrivé et à se restituer dans la situation actuelle. Elle allait bien, elle n'avait rien de cassé … et elle reposait contre quelque chose de doux et chaud. Elle plongea sa main dans la fourrure, intriguée, avant de glisser et de se retrouver les fesses sur le sol dur qui aurait dû l’accueillir bien plus tôt.
D'un geste coquet, elle se passa la main dans les cheveux avant de se tourner vers ce qui bougeait derrière elle, sentant avant même de poser les yeux sur la créature quelque chose comprimer sa poitrine et le sifflement dans sa tête qui commençait à devenir assourdissant. Elle sursauta en voyant cet animal, comme elle n'en avait jamais vu de pareil. Elle recula, incapable encore de se relever, les yeux plongés dans ceux du fauve qui l'observait, babines retroussées. Lucrecia eut rapidement la certitude qu'il ne s'agissait pas d'un monstre, ni même d'une créature sauvage comme les autres, sinon les crocs se seraient sans doute déjà planté dans sa chaire vu l'agression qu'elle avait commise en tombant dessus sans prévenir. Mais elle ne pouvait cependant pas plus mobiliser ses pensées, car le sifflement était devenu un cri dans son crâne, elle sentait que quelque chose frappait à l'intérieur, comme l'on martèle la porte d'une cellule blindée.

Elle se releva à l’apparition de Vincent et recula encore de quelques pas, secouant doucement la tête pour lui signifier qu'elle n'avait effectivement rien de casser, mais incapable de prononcer le moindre mot. Elle s'adossa contre une paroi rocheuse et se prit la tête dans les mains … Chaos voulait détruire. Il voulait du mal à cette créature. Ainsi, malgré la méfiance de chacun des parties, la plus grande menace ici était tapis en Lucrecia … et elle grattait furieusement pour se libérer.

— Vincent …

Est-ce qu'il essayait de communiquer avec la créature ? Avec ce qui lui vrillait le crâne, elle avait du mal à suivre ce qu'il le passait.

— Arrête-moi …

Ses iris prirent une teinte dorée et l'aura sombre de Chaos commença à émaner d'elle.

— Je ne veux pas … arrête … laisse le …

Le cri bestial de Chaos résonnait dans son crane, ou peut-être que ce n'était plus simplement dans sa tête. Elle refusait de le laisser faire, mais elle se sentait totalement impuissante. Elle avait cependant l'avantage, cette fois plutôt que la première, d'être parfaitement consciente. Son corps, qui refusait de succomber depuis ces trois dernières décennies, ne résistait à la bête qui l'habitait que ''grâce'' à ses péchés, aux cellules de Jenova qui parcouraient son corps depuis qu'elle avait servi de réceptacle pour le fleuron des sujets du projet S. Cela était cependant loin de suffire à rendre sa volonté supérieur à celle de l’entité chaotique, comment faire face ? Dans sa bestialité, il n'y avait pas que l'instinct de détruire, il y avait aussi une sorte de justice. Chaos ne faisait que son devoir pour préserver l'équilibre déjà si fragile de la planète et c'était ce qu'il y avait de plus perturbant. Qui était-elle pour s'opposer à l'ordre naturelle des choses ?

Malgré tout, elle ne voulait plus avoir de sang sur les mains.

Elle perçu la voix de Vincent à travers la cacophonie de son esprit et saisi ses avant-bras fermement, comme si elle se tenait au dessus d'un gouffre. Des griffes avaient déjà recouvert les extrémités de ses doigts, mettant à mal le cuir qui protégeait la peau de son sauveur. Son regard mit un moment à trouver le sien et elle tenta d'y trouver la force et la volonté qui lui manquait pour garder le contrôle. La voix de Vincent contre celle de Chaos. On ne pouvait pas vraiment dire que ce dernier parlait, c'était une autre forme de communication, comme une transmission direct de la volonté. Elle sentait qu'il voulait faire son devoir, réparer ce qui avait été brisé, détruire pour mieux reconstruire. C'est comme ça qu'elle le ressentait, en tout cas.

— Arrête-moi … Cette fois, sa voix avait quelque chose de caverneux, comme un écho indéfinissable qui l'altérait en quelque chose d'inhumain.

Elle sentait aussi qu'il essayait de la faire lâcher, sans vraiment parler de manipulation ni d'argument, comme on le ferait dans un langage classique, c'est ses propres sombres pensées qui venaient peu à peu s'imposer à elle. Elle n'était rien, elle ne faisait rien de bien, chacune de ses décisions menait à une catastrophe, de pire en pire, l'une après autre … Elle ferait mieux de lâcher prise, de laisser les autres décider pour elle, de s'abandonner et disparaître dans la volonté de Chaos. Elle avait déjà œuvré à défier la nature et voilà le résultat : un monde en perdition, un fils devenu monstre.

Peut-être devrait-elle juste … fermer les yeux ?

Le bras de Chaos balaya son ancien hôte d'un revers et ses jambes foncèrent sur la créature innocente. Il y eu un rugissement, mais la créature aux yeux jaunes s'arrêta avant d'abattre ses griffes sur sa cible. Non. C'est parce qu'elle avait si longtemps fermé les yeux qu'elle avait fait tant d'erreurs ! Elle ne voulait plus rester passive. Plus personne de déciderait jamais pour elle, elle ne se laisserait plus jamais faire …

Et Vincent, est-ce qu'il allait bien ?

Toujours sous cette apparence monstrueuse, elle se prit la tête dans les mains, les rugissements de la bête se mêlaient à ses cris de détresse ; s'agitant comme prise par des convulsions de démence.

Lutter contre Chaos était comme essayer de se convaincre de ne pas brûler au milieu d'un incendie. Elle était incapable de le dominer, tout ce qu'elle pouvait faire était de le ralentir ou l'occuper quelques instants à lutter contre elle plutôt qu'à faire du mal à ceux qui l'entouraient. Est-ce qu'il finirait par se lasser, par retourner sommeiller paisiblement ? Peu de chance que cela arrive avant qu'elle ne cède à cours de force et d'énergie. A l'intérieur d'elle-même, tout ce qu'elle pouvait faire était de hurler pour essayer d'attirer son attention le plus longtemps possible, mais il se rendrait bientôt compte qu'elle n'avait en réalité que peu d'influence sur lui.

C'est un cou qui attira son attention. L'attention de Chaos.

Pour lui, ce fut comme une pichenette derrière la nuque, il se désintéressa du conflit intérieur qui faisait rage avec sa nouvelle hôte et se tourna doucement vers l'ancien. Ses yeux jaunes vifs luisaient d'une froide menace, et sa grande main aux griffes acérés se referma brusquement sur son cou pour le soulever à quelques centimètres du sol. Il ne semblait y avoir aucune hésitation sur le visage méconnaissable de la femme qu'il possédait, pourtant, sa main ne serrait pas alors qu'il aurait pu le broyer sans effort. Percevant un mouvement sur le côté, la bête envoya le gardien fidèle sur l'animal doté de parole qui était sa cible initiale et poussa un nouveau hurlement bestiale avant de se précipiter vers la paroi rocheuse qu'il martelât frénétiquement de coups de griffes. La glace jaillit tout autour et le long de la falaise jusqu'à son sommet, Lucrecia l'encourageant intérieurement à déverser toute sa rage et son énergie maintenant, le laissant puiser dans la sienne afin d'alimenter sa soif de destruction jusqu'à épuisement.

Après un dernier cri strident, la créature aux yeux jaunes s'immobilisa, une aura sombre l'englouti l'espace d'un instant avant de laisser reparaître la silhouette habituelle de Lucrecia Crescent qui resta quelques secondes immobile, elle aussi, avant de s'effondrer subitement. Elle était pâle, épuisée et sa matéria Glace avait été tellement sollicitée par Chaos que le bras qui la contenait était glacé, les doigts bleuis par le froid.

— Je … suis désolée.

Elle parvenait à peine à bouger, à ouvrir les yeux. Ses mots étaient des murmures.

— Est-ce que … j'ai fait du mal ?